Valorisation et transmission : un pas de côté (1/3)
La crise sanitaire incite à une remise en cause des pratiques muséographiques. Au fil de quelques entretiens, je souhaite mettre en avant des initiatives, parfois hors champ, qui peuvent inspirer de nouvelles pratiques pour les expositions.
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Premier entretien : madame papier et le projet de valorisation transmedia des femmes qui comptent monté avec des archivistes du secteur bancaire.
Il y a deux ans, je rencontrais madame papier. Cathy Drévillon est archiviste, c’est-à-dire qu’elle organise, sécurise et valorise les archives de ses clients. Elle terminait alors un projet tout à fait passionnant : des femmes qui comptent. Aujourd’hui, la réflexion qui sous-tend ce projet est toujours d’actualité.
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Peux-tu présenter des femmes qui comptent ?
Nous avons voulu raconter, à travers des archives, l’évolution de la place des femmes dans le secteur bancaire, qu’elles soient collaboratrices ou clientes, de la fin du 19e siècle à la fin du 20e siècle. L’histoire de ces femmes devait être celle de « parcours ordinaires ». Nous avons imaginé trois personnages, et construit pour elles des portraits crédibles. Nous ne voulions pas mettre en avant des personnes réelles car cela nous aurait obligés à dévoiler des pans de leur vie. Un quatrième personnage, Marie, raconte leur histoire au fil de ses découvertes.
L’opération a pris la forme d’un projet transmedia, porté par un blog, et relayé par Twitter, avec des vidéos sur Youtube. Dès octobre 2017, le blog a permis de publier des articles de fond, et des entretiens avec des sociologues, historiens… Ils étaient partagés sur Twitter et après quelques mois, nous rassemblions une petite communauté. Nous avons alors pu lancer les tweets documentaires sur l’histoire d’Eugénie, Pauline et Annie. Chaque portrait était complété par des vidéos hebdomadaires qui permettaient de redonner vie à ces femmes et de mieux suivre leur parcours. Des publications sur le blog éclairaient le contexte. L’opération s’est terminée à la fin de l’été 2018.
Comment était constituée l’équipe de ce projet ?
A l’initiative du projet, il y a sept archivistes venant de différents établissements bancaires et du Centre des archives économiques et financières. Nous nous étions retrouvés lors d’un événement professionnel, et nous avons décidé d’unir nos forces. Nous voulions produire ensemble l’événement qu’aucun service n’avait les moyens de produire seul, dans un esprit de collaboration entre les services d’archives des différentes banques.
J’ai imaginé le concept et coordonné l’ensemble. Chacun des sept archivistes était référent pour son fonds. La stratégie digitale a été conçue et mise en œuvre par Doriane Wotton (L:EDigitilab). Géraldine Broquin (Mon cher Watson) a rédigé ou réécrit les textes. Le projet était financé par les établissements, et porté administrativement par l’Association des archivistes français.
Pourquoi avez-vous choisi une présentation numérique et non physique ?
Avec la même équipe d’archivistes d’établissements bancaires, nous avions déjà monté une exposition itinérante sur la Grande Guerre. Elle avait été présentée, entre autres, au ministère de l’Economie et aux Archives nationales. Cette fois-ci, la demande des banques était claire : nous devions concevoir un produit numérique, dont l’exploitation serait moins coûteuse.
Comment en êtes-vous venus à Twitter ?
Je cherchais une idée, et tout à coup m’est venu à l’esprit le Madeleine Project de Clara Beaudoux. Cette journaliste a trouvé dans la cave de son appartement un grand nombre d’objets ayant appartenu à la propriétaire précédente. Après enquête, elle les a publiés sous forme de tweets. Notre projet est finalement assez différent, mais le point de départ était là.
Est-ce que les documents que vous avez présentés étaient déjà connus ?
Très peu. Les archives des établissements bancaires sont accessibles principalement aux chercheurs. Certains des documents que nous avons présentés étaient déjà connus des archivistes, mais d’autres ont été de vraies découvertes.
Comment les publics ont-ils réagi ?
Au-delà de nos espérances ! Nous avons eu une large audience sur Twitter (plus de 5000 abonnés en six mois) – au-delà des objectifs fixés au cahier des charges. Les 2/3 des tweets documentaires ont été retweetés. Surtout, c’était un public plus large que notre public habituel, fait d’archivistes et de personnel des établissements bancaires. Là, nous avons eu beaucoup de jeunes, des personnes d’environnements professionnels variés, des femmes mais aussi des hommes. Des femmes qui comptent a commencé au début de la vague #metoo, et nous avons eu peur que cela nous desserve. Mais je crois que notre discours a été perçu comme positif et rafraichissant, et nous avons trouvé notre public.
Un point faible du projet est tout de même la modeste interaction avec ces publics. C’est pourtant un élément essentiel dans un projet numérique. Nous avions lancé un appel à témoignages vidéo pour le 8 mars, la journée de la femme, mais cela n’a pas fonctionné. Le support vidéo était peut-être trop contraignant. Nous avons tout de même réussi à mettre en place un quizz autour d’objets des archives, et ce jeu a eu beaucoup de succès.
Des femmes qui comptent ont-elles eu des ramifications dans le monde réel ?
Notre travail avait été pensé pour servir de levier aux travaux d’universitaires dont le sujet de recherche était les femmes collaboratrices et les femmes clientes. Deux colloques se sont tenus depuis, en 2018 et 2019. Et nous publierons peut-être un jour un livre à partir des contenus.
Les tweets sont éphémères. Avez-vous voulu des éléments de pérennité ?
L’ensemble est sauvegardé et consultable. Nous avons réalisé une vidéo (motion design) qui raconte l’histoire de chaque femme à partir des archives. Les tweets eux-mêmes ont été récupérés, et sont consultables sur le blog (ici le tweet documentaire sur Pauline). Le compte Twitter n’est plus alimenté, mais il n’est pas fermé. Quant au blog, il est maintenu, et toujours consulté – encore récemment par une journaliste qui nous a demandé une ressource iconographique.
2 ans après, quel regard portes-tu sur ce projet ?
C’était une belle aventure, qui nous a tous beaucoup apporté. Au début, il me semblait dommage de ne pas montrer les archives dans leur matérialité, mais finalement je crois que nous avons réussi à créer une émotion en passant par le numérique.
Je pense que nous avons aussi montré qu’il est possible d’investir de nouveaux terrains pour les archives. Au-delà de l’action culturelle classique, nous sommes allés là où sont les publics, et c’est une réussite. Nous avons innové, et trouvé de nouvelles façons d’exploiter la force des réseaux sociaux. Nous avons réussi à créer une communauté.
Et c’est un projet toujours présent dans les esprits : on m’en a parlé encore hier lors d’un colloque !
Selon toi, est-ce que des femmes qui comptent est une exposition virtuelle ?
Non ! Aujourd’hui, quand on regarde le site, je pense qu’on ne perçoit pas vraiment le fil de la narration qu’on avait avec les tweets et le blog, qui se complétaient. C’était peut-être une forme d’exposition virtuelle pour ceux qui ont reçu les tweets en direct, mais aujourd’hui ça ne l’est plus. Une exposition virtuelle repose sur la scénarisation des contenus, sur un parcours. Je parlerais plutôt dans notre cas de valorisation transmedia.
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Pour deux autres entretiens sur d’autres façons de faire des expositions, c’est ici et là.
Pour notre article sur le besoin de nouveaux modèles pour les expositions, c’est ici !