Valorisation et transmission : un pas de côté (2/3)
Ce deuxième entretien prolonge la démarche amorcée : une exploration de ce que peuvent apporter à la muséographie des disciplines cousines, dans un contexte de remise en cause des pratiques d’exposition.
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Deuxième entretien : l’association Ticket d’Entrée et son action pour proposer des sorties culturelles à des populations migrantes ou éloignées de la culture, à partir du 19e arrondissement de Paris.
Au fil des années, j’ai eu le plaisir d’accompagner plusieurs visites organisées par Ticket d’Entrée. Rachel Hinawi et Sophie Migairou ont créé l’association après une longue expérience de bénévolat en alphabétisation. Leur motivation : créer du lien, susciter des émotions et du plaisir, et transmettre certains codes culturels.
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Pouvez-vous présenter Ticket d’Entrée ?
Nous avons créé l’association en 2014, d’abord pour proposer des ateliers culturels à des personnes en apprentissage du français. En 2017, des bailleurs sociaux nous ont sollicitées pour organiser des sorties pour tous les bénéficiaires du champ social. En effet, dans le 19e arrondissement, la culture était un vecteur du vivre ensemble encore peu développé. Pourtant, c’est un moyen efficace pour briser l’isolement. En 2019-2020, malgré les grèves et la crise sanitaire, nous avons organisé 38 sorties pour 142 bénéficiaires (408 participations), et nous travaillons avec une quinzaine de partenaires.
Qu’est-ce que votre démarche a de spécifique ?
Nous sommes loin d’être les seules à proposer des sorties culturelles à ces publics. Mais nous avons à cœur d’aller chercher les gens là où ils sont, là où ils habitent, là où ils travaillent. Nous tenons une permanence à la Cité blanche à l’invitation de Paris Habitat. Nous allons dans le Centre d’hébergement d’urgence Danube du groupe SOS à l’heure du déjeuner. Ce sont des publics qui ne vont pas chercher l’information, il faut aller la leur donner.
Lorsqu’ils s’inscrivent à une sortie, nous les rappelons toujours 3 ou 4 jours avant pour leur reconfirmer la sortie, s’assurer qu’ils ont toutes les informations et qu’ils seront présents.
Vous avez mis au point une méthode originale.
Oui, ce sont nos ateliers « langue & culture », environ un tiers des sorties. Nous les organisons en partenariat avec des associations pour l’apprentissage du français. Lors de ces ateliers, nous intervenons à trois reprises.
Le premier contact se fait dans les locaux de l’association, pendant une heure de cours de français. Nous nous présentons. Nous montrons des reproductions des œuvres que nous verrons lors de la visite, et nous apportons quelques éléments de compréhension. C’est aussi le moment de donner des informations sur le lieu que nous allons visiter, et de travailler des mots de vocabulaire (qu’est-ce qu’un tableau, un portrait ?). Une grande partie de la séance est consacrée à préparer le trajet, à préciser l’heure et le lieu du rendez-vous. L’enjeu est de créer le contact, d’inspirer la confiance, et de susciter l’envie. C’est aussi de donner assez de repères pour réduire le stress lié à l’inconnu. Cette première étape est déterminante. Si nous réussissons à rassurer et à mettre en avant le plaisir de la visite, c’est gagné !
Et ensuite ?
Le deuxième temps est celui de la visite proprement dite. Nous avons tâtonné, et testé plusieurs formats. Aujourd’hui, nous laissons nos bénéficiaires relativement libres de leur visite. A l’arrivée, nous leur rappelons les éléments les plus importants, et nous sommes toujours disponibles pour les questions. Mais les échanges en amont, et les informations déjà partagées, leur permettent de profiter simplement de la visite, de se laisser émouvoir. Suivre une visite guidée dans une langue qui n’est pas parfaitement maîtrisée constitue un effort supplémentaire. Nous préférons les laisser profiter du lieu et du moment.
Enfin, le troisième temps est celui de la restitution et de l’ouverture, de nouveau pendant un cours au sein de l’association partenaire. Nous revenons sur leur ressenti, sur ce qu’ils ont compris ou non. Et nous leur présentons un document ou une activité en lien avec la visite. Par exemple, après une visite à l’Arc de Triomphe, nous avions montré un film d’archives d’un avion passant sous l’Arc. Il a eu un grand succès !
Qu’apporte cette méthode en trois temps ?
Elle apporte du sens. C’est tellement mieux si la personne est préparée, comprend ce qu’elle voit et entend, est disponible pour l’apprécier. Et ce qui a plus de sens a aussi plus de poids, donc la personne le retient mieux.
L’autre avantage, c’est que nous connaissons notre public lorsque nous l’emmenons quelque part. Nous pouvons avoir une approche très individualisée, très enveloppante, et au final rassurante. Nous travaillons avec des personnes qui ont parfois de grandes difficultés sociales, économiques, psychologiques. Elles peuvent être imprévisibles. Pour cela aussi, c’est bien de les connaître. Nous pouvons désamorcer des situations parfois explosives, et permettre que tout le monde profite de la sortie.
Nous avons élaboré cette méthode au fur et à mesure. On trouve une démarche similaire dans certains ateliers sociolinguistiques. Des instituteurs ont probablement aussi une approche semblable lorsqu’ils organisent une sortie scolaire. Mais pour nous, c’est vraiment le résultat empirique de différentes tentatives pour apporter du plaisir et des souvenirs durables à nos publics.
La crise sanitaire et le confinement ont interrompu toutes les sorties. Avez-vous organisé des sorties virtuelles pendant cette période ?
Seulement 20 % de notre public pratique internet. Lorsque nous présentons les sorties, c’est toujours à partir de fiches imprimées. Nous écrivons les rendez-vous sur des morceaux de papier. Notre activité laisse peu de place au virtuel !
Cette contrainte nous a limitées. Pendant le confinement, nous avons proposé des ressources en ligne sur notre page Facebook. En revanche, dès le déconfinement, nous avons repris les visites de quartiers, que nous pouvons faire en petits groupes, même lorsque les musées et monuments sont fermés. Nous avons commencé par la Butte-Rouge, où nous sommes implantées. Puis la Bibliothèque nationale, Montmartre…
Notre travail repose tellement sur les échanges humains qu’il serait contre-productif de recourir à internet pour les visites. Nous cherchons à faire sortir les gens de chez eux. Il est plus difficile pour un jeune d’un quartier « politique de la ville » d’aller au théâtre ou dans un musée que d’aller sur internet. Ce que nous voulons, c’est ouvrir les portes de ces lieux.
Qu’attendez-vous des lieux qui vous accueillent ?
Nous apprécions de pouvoir échanger avec les équipes pour que notre action atteigne ses objectifs. Lorsque nous sommes accueillis par un guide, l’idéal est d’avoir pu s’entretenir avec lui avant la visite pour lui dire quelques mots du groupe auquel il va s’adresser. Pour les spectacles, nous apprécions aussi d’être accompagnés. A cet égard, le théâtre de Chaillot est une référence : notre interlocutrice nous connaît bien désormais, elle nous conseille de façon avisée, et elle nous appelle ensuite pour savoir comment s’est passée la soirée.
A Paris et autour, l’offre est immense. Mais l’accueil est très différent selon les lieux. Nos publics se sentent souvent rejetés par la société, abandonnés à leur sort. Lorsque nous sommes accueillis, cela les met en valeur. Ils ont le sentiment de participer à la société active. Cette année, nous avons été impressionnées par l’accueil reçu à la Philharmonie. A chaque concert avec les bénéficiaires, notre contact, un jeune homme en service civique, était là pour nous saluer, nous guider. L’effet sur nos publics d’une telle attention est incroyable. Ils ne sont plus transparents.
Note : pour soutenir le travail de Ticket d’Entrée par une proposition de visite, une adhésion ou un don, c’est ici !
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Pour un tour d’horizon de la crise que traverse le modèle des expositions, c’est ici.
Pour un autre exemple de valorisation et transmission réussies : la valorisation transmedia du projet des femmes qui comptent, c’est là.